Qu’est-ce qu’un pattern ? (part.1) : Un effort de définition

Si on devait faire rentrer le mot pattern dans le Larousse halieutique,

on collerait en face ces simples mots, formulés par David Dubreuil dans Predators n°7 : « schéma mental de pêche ». Il écrivait : « Imaginons que vous ayez touché trois brochets le long d’un herbier. Volontairement ou non, vous garderez en mémoire ce type de configuration comme une empreinte qui éveillera votre intérêt chaque fois qu’un herbier entrera dans votre champ de vision. Votre façon d’aborder le poste sera un peu différente à chaque fois, mais petit à petit un schéma se mettra en place dans votre cerveau pour tenter de reproduire la touche ».

Tout est dit, ou presque. Et c’est lors d’un de ces longs retours de session, alourdis par la fatigue et le poids du bateau sur la remorque, qu’une discussion entre David et moi a dessiné les grands thèmes de cet article, qui, nous l’espérons, vous amènera aussi loin que nous dans l’exploration du pattern

IMG_1183Dans un article intitulé « Junkfishing, ou la vraie valeur du pattern », je rappelais que cette notion date de la fin des années 70, quand un illustre pêcheur, Roland Martin, commençait à théoriser ce qu’il appela le « pattern », c’est-à-dire, rappelons-le, le schéma de pêche appliqué à un comportement effectif ou supposé des poissons. Pendant plus de quinze ans, la notion de pattern a dominé la pensé halieutique américaine puis japonaise, avant que le début des années 90 ne voit une nouvelle génération de pêcheurs bousculer ce principe, avec le junkfishing.

Le junkfinshing, littéralement « la pêche sans valeur » (comprenez : sans pattern), consiste à ne pas préétablir de pattern, d’essayer toutes les techniques sans présupposer d’un comportement des poissons plutôt qu’un autre, dans le but soit de trouver un pattern, soit dans celui de continuer à junkfisher.

Ce qui est intéressant dans le dialogue du junkfishing et du pattern, c’est qu’on y retrouve typiquement le dialogue de l’être et du non-être, où l’un finit toujours par beaucoup ressembler à l’autre. Car si le junkfishing s’apparente à une technique bannissant tous les patterns, il devient très vite à son tour pattern. Le non-pattern comme pattern absolu…

Pour comprendre la notion de pattern, déplaçons-nous dans un domaine différent de la pêche, et observons la manière dont différents pêcheurs abordent la chose. Nous sommes en boîte de nuit, avec Greg Steff, Matthias Lothy, Jean-Christophe David et les deux intervenants de cet article. Il ne reste que qu’à s’accouder au comptoir et observer…

Chacun des protagonistes a une manière très personnelle de s’y prendre avec la gente féminine. Commençons par Jean-Christophe David. Celui-ci reste sobre, auprès de ses amis, le torse bombé et comme indifférent aux filles qui se trémoussent sur la piste. Ce n’est évidemment pas le cas, mais il commet une erreur extrêmement courante : il fait totalement confiance à son leurre. Il n’a pas de pattern. Son leurre est beau, il lui a coûté beaucoup d’efforts, il se dit donc qu’il va faire le job tout seul, et pourtant nous savons pertinemment qu’en fin de soirée il sera sûrement bredouille : les filles ne viennent pas comme ça se pendre aux triples – pardon : aux épaules.

David Dubreuil, lui, a plusieurs patterns. Il esquisse quelques pas de zouk par ici avec une charmante métisse, puis chante à tue-tête du Khaled devant d’agréables beurettes, avant de murmurer à une trentenaire très BCBG qu’il est producteur à Canal +, etc. il connaît néanmoins ses limites et évite de jouer les gros bras pour les impressionner. De même, il ne parle pas un mot de portugais, il laisse donc à d’autres les Brésiliennes dans le fond. Sa démarche est rationnelle et il rentre rarement bredouille.

Matthias, lui, plutôt que d’appliquer une stratégie préétablie ou de se prêter au pattern le plus logique (coupe tectonique, iPhone, jean Diesel…) dont les filles commencent à se méfier, va s’ingénier à essayer tous les patterns, même les plus saugrenus : il propose un concours de rots à une prof de philo de la Sorbonne, puis parle chaussures avec une cul-de-jatte, etc. Ainsi, il ne ferme aucune porte, mais il est vrai que la débauche d’énergie est énorme et surtout : il faut à la fois savoir danser, chanter, avoir une étonnante culture générale, un bon niveau de français, enfin de baratin, bref : Matthias Lothy fait en boîte de nuit ce qu’on appellera donc du junkfinshing. Et la différence avec Jean-Christophe David est qu’il obtient plus de résultats, alors qu’objectivement : il est moche (le leurre). Son pattern est de tester tous les patterns…ou de s’attacher à aucun – ce qui revient au même.

Greg Steff, lui aussi, a un pattern. Et un objectif : il cherche la grosse. Pour cela, il ne s’embarrasse pas de finesse (-fishing) et si son manège effraie invariablement les sujets trop jeunes ou menus, il s’en fiche. S’il pêche bigbait, c’est pour mettre au vivier un machin d’anthologie dont ses potes lui parleront encore dans dix ans. C’est du specimen hunting et si la démarche s’accompagne de quelques bredouilles, elle est aussi une formidable satisfaction quand elle aboutit. Et ce soir il y croit. La Confrérie des Mangeurs de Beurre Salé de Basse-Bretagne est en ville, quelques-unes de ses représentantes ont certainement eu la bonne idée de sortir après une bonne crête beurre/chantilly. En ciblant délibérément les lunker girls, Greg Steff a donc choisi de penser que le succès de sa session tiendrait à l’activité sexuelle prévisible parmi les « masta boobs« . Son pattern est établi d’entrée de jeu et rien ne pourra l’en faire changer. Nous verrons plus loin que cela pourrait s’appeler « clockfishing ».

peche-numa-3Numa tout autant a son pattern. Il part du principe qu’un peu avant la fermeture de la boîte de nuit les filles, un peu saoules, seront aussi moins regardantes. Il ne boit donc pas une goutte d’alcool et attend patiemment le coup du matin. Mais il sait aussi que la concurrence sera rude, car nombreux sont les pêcheurs qui chercheront à sauver le capot dans les dernières minutes. Quand il sent que c’est le moment, il attaque. Il n’a pas beaucoup de temps, et décide de prospecter à toute allure en battant un maximum de contacts. La caissière, la serveuse, seules, mariées, mineurs, ménopausées, hystériques ou endormies, il échange quelques mots avec toutes les filles qu’il croise. Et il en aborde ! Il galope littéralement, il joue les statistiques, et sa vitesse d’exécution est incroyable. Il enchaîne les râteaux avec une régularité qui plongerait n’importe quel bellâtre dans la pire des dépressions nerveuses. Mais pas lui : prenant tout il se satisfait de n’importe quoi. Seul compte pour lui de prendre un 06 : il fait du powerfishing. Mais le powerfishing n’est pas son pattern. Le powerfishing n’est pas un pattern, seulement une technique. Ici le pattern est « filles saoules (donc peu regardantes sur le coloris ou le beurre en général) en boîte, dans l’urgence pour trouver un mec ».

Puis vient l’heure de rentrer. La boîte ferme, quelques numéros de téléphone ont été pris mais le grand vainqueur de la soirée est Greg Steff qui a pêché un engin du quintal en appliquant à la lettre son pattern : il lui a fait croire qu’il était né à Quimper et c’est autour d’un verre d’hydromel-coca qu’il a conclu. Elle lui a ensuite vomi dessus et ils se sont promis de se voir. Car évidemment Greg pratique le catch n’release. Il est no kill, et même no fuck, à fond. Nos cinq amis marchent donc ensemble dans la nuit noire, et empruntent un raccourci en forme de ruelle étroite et sombre, dont tous les éclairages municipaux sont cassés à l’exception d’un unique lampadaire qui dispense une faible lumière baveuse, comme un phare qui à force d’ennui et de solitude regarderait ses pieds.

Ils arrivent finalement chez Etienne Fleurant, quand Dubreuil se frappe le front (laissant sur celui-ci une fine feuille de menthe d’une célèbre boisson alcoolisée). Il a perdu ses clefs de voiture ! Et en réfléchissant, ça ne peut être que dans la petite ruelle sombre… Les voilà donc repartis chercher le trousseau. Mais une fois dans la ruelle, à nouveau les méthodes des uns et des autres vont diverger. Numa, fidèle à son powerfishing, quadrille consciencieusement la ruelle. Comme elle est très longue et qu’on ne peut fouiller chaque centième carré, il s’est emparé d’un bâton qu’il agite devant lui à la manière d’un aveugle, et s’arrange pour ne jamais passer deux fois au même endroit. Ainsi, s’il est possible que les clefs échappent son stratagème, il est aussi en droit de penser qu’il bat le plus efficacement le maximum de terrain. Mais à la différence de son powerfishing en boîte de nuit, il n’a pas vraiment de pattern. Ou plutôt son pattern est mauvais : un bâton pour trouver des clefs, c’est inefficace au possible. Donc sa technique de powerfishing devient une fausse bonne idée du fait qu’il manque l’essentiel : un pattern.

Jean-Christophe David quant à lui vient de s’acheter une nouvelle paire de Nike custom Bassmataaz, et se dit que la sensibilité de la semelle Air Max Ultra Senior Skin suffira. A nouveau, il s’en remet aveuglément à son matériel… et restera dans le noir. Il se met à marcher en tous sens en espérant mettre la main, enfin le pied, dessus. Mais évidemment Greg, qui commence à être fatigué, donc affamé, donc de mauvaise humeur, s’en prend à ce « branle-kiki qui fait n’importe quoi ». C’est que lui a une idée. Un pattern vous l’aurez compris. Il utilise la faible lueur de son téléphone portable pour essayer de voir briller les clefs de David. Selon lui, le porte-clefs qu’il avait offert à David pour se faire pardonner d’avoir essayé de lui réparer sa remorque de bateau à coups de masse devrait réfléchir très fortement même une source lumineuse assez faible.

Enfin, David a aussi son pattern. Il se dit que le meilleur endroit pour chercher des clefs dans une rue plongée dans le noir, c’est… sous le lampadaire. En effet, s’il n’y a pas de raison qu’elles y soient plus qu’ailleurs, c’est tout de même là où il sera le plus simple de les y trouver. Et c’est son jour, où plutôt c’est le pattern du jour, puisque David s’était visiblement arrêté pour uriner ici (manière sans doute de rappeler aux chiens du quartier qu’il est le boss ici), et a vraisemblablement perdu ses clefs à ce moment-là. Elles sont donc posées en pleine lumière sur le bitume, et, c’est triomphalement qu’il les drope dans sa poche…

Alors, pourquoi vous raconte-t-on tout cela ? Pour vous expliquer ce qu’est un pattern, comment cela naît et comment s’en servir. Si on devait reprendre l’exemple plus haut pour choisir une image, le pattern serait incontestablement la lumière du lampadaire. Il est ce qui est visible, et intelligible, dans cet univers invisible et incompréhensible pour nous qu’est le milieu aquatique Ainsi, à la pêche, il est toujours mille fois plus judicieux de chercher sous le lampadaire. Ça ne veut pas dire que les poissons s’y trouvent, bien au contraire, mais un bon pêcheur aux leurres ne cherche pas des poissons, mais des patterns…Il cherche ce qui, dans les ténèbres, dispense de la lumière. Fondamentalement, un pêcheur aux leurres est un homme qui cherche à vaincre la nuit des eaux profondes.

5 Commentaires

  1. j adore et du coup je serais plutot patterns !

  2. moi qui suis vieux et qui ain connu le début des boites de nuit, j’aime bien le parallele avec les boites de nuit . des copains qui faisaient du powerfishing en proposant à 10 nanas ,recevaient 9 baffes mais ,il y en avait une qui mordait (sans mauvais jeu de mots) moi qui attendait la fin pour en avoir une … je l’avais étudiée ,’avais essayé de lire (l’eau) … je l’avais eue , mais au final ,le copain qui avait taper tous les postes et moi qui avait étudié: il y avait match nul.la pêche c’est un peu pareil chaque pattern peut rapporter autant , je m’en suis aperçu dans les concours auquels j’ai partcipé et dans ceux que j’ai organisés. L’article me plait beaucoucoup. bonne pêche . Le vieux pêcheur Jurassien.

  3. « Car si le junkfishing s’apparente à une technique bannissant tous les patterns, il devient très vite à son tour pattern. Le non-pattern comme pattern absolu… » Ou comment aborder le Wei Wu Wei sans s’en rendre compte :p À quand le Tao de la pêche ? Bon article en tout cas, ma foi.

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